Ne dites plus » Journées du patrimoine « , dites » Heritage Days « . Cette magnifique initiative qui permet aux Bruxellois de se réapproprier durant un week-end de septembre des monuments et trésors patrimoniaux souvent méconnus, fait les frais d’un procès en sexisme.
Il fallait un nouveau nom « pour une nouvelle dynamique inclusive et plus élargie » selon le secrétaire d’État bruxellois Pascal Smet en charge de l’Urbanisme et du Patrimoine. « Heritage » ferait davantage référence à l’immatériel, comme si la notion de patrimoine immatériel n’était pas une notion largement usitée. Bien entendu, le nouveau nom est en anglais, sacrifiant en parallèle la dénomination néerlandaise. Il en va de même pour la thématique choisie pour cette année, tristement dénommée « Meeting points ».
Bref, non content d’angliciser l’ensemble de ses organismes, administrations et publications, le gouvernement bruxellois, au travers de son secrétaire d’État, se lance dans un dangereux procès en sorcellerie contre la langue française. Déjà considérée comme moins efficace et moins prestigieuse pour une capitale européenne, celle-ci est désormais taxée de sexisme, de manque « d’inclusivité »… Et pourquoi pas, en poussant le bouchon un tout petit peu plus loin, de racisme ?
Ce procès en misogynie fait à la langue française résonne comme une insupportable tartuferie.
Cette nouvelle attaque de Pascal Smet, que l’on sait prosélyte de l’anglicisation de Bruxelles, est d’une violence symbolique inouïe car, en plus de vouloir faire disparaître de l’espace public et culturel la langue française (et par effet collatéral le néerlandais), elle entreprend l’élimination de l’usage de termes considérés comme nocifs. « Patrimoine » étant lié à l’étymologie latine de « pater », père en latin, il serait donc imprégné d’un contexte de domination masculine et d’oppression à l’égard des femmes…
Tout ce charabia s’enracine dans la mouvance de pensée woke et intersectionnelle qui progresse chaque jour davantage dans les arcanes politiques bruxellois. N’oublions pas que la culture woke veut chasser le latin et le grec des apprentissages sous prétexte que ces cultures antiques étaient esclavagistes et racistes.
Faut-il rappeler aux partisans de l’effacement de la langue française à Bruxelles, que cette langue s’est durablement implantée avec les idées des Lumières à partir du XVIIIe siècle ? Cet outil d’émancipation et de liberté extraordinaire est paradoxalement présenté par les cuistres de nos jours comme un outil sournois d’oppression.
Cette purge du vocabulaire incitée par un membre éminent du gouvernement bruxellois porte en elle des accents pernicieux contre lesquels Georges Orwell nous avait mis en garde dans son roman « 1984 » : cet écrivain, penseur mais également praticien du langage y avait inventé la « novlangue », un idiome progressivement expurgé d’un nombre croissant de mots de l’ancien monde et dont le but était l’anéantissement de la pensée libre et la destruction de l’individu.
Il est donc grand temps de mettre le « halte-là ! » à cette dérive linguistique à Bruxelles qui semble désormais sans limite ni scrupule. Imposer le « globiche », cette version appauvrie de l’anglais, est manifestement considéré par d’aucuns comme le passage obligé pour construire une Ville-Région formatée pour l’international. Comme si cette version fantasmatique d’un Bruxelles hyper connecté ne pouvait pas émerger dans une Région largement francophone enrichie par ses héritages flamands. Une ville pourtant déjà largement ouverte sur le monde – à l’image de la francophonie diverse du XXIe siècle – où la langue française reste malgré tout un ciment de cohésion sociale entre les quartiers et les populations.
Ce tout à l’anglais que promeuvent de plus en plus les autorité bruxelloises n’est pas seulement un manque à gagner pour les langues du terroir que sont le français et le néerlandais. Il constitue aussi une atteinte au plurilinguisme européen : pourquoi ne s’adresse-t-on aux expatriés qu’en anglais et jamais en espagnol, en italien ou plus encore en allemand (langue la plus usitée de l’Union européenne et tout de même notre troisième langue nationale) ? Est-ce en tournant le dos aux populations et à leur héritage culturel que l’on construit utilement le projet européen à Bruxelles ? Manifestement non, même les Britanniques ont rejeté ce formatage culturel en s’exprimant en faveur du Brexit.
Il est donc grand temps que les responsables politiques bruxellois mettent fin à la curée contre la langue française car rien de bon n’en sortira en définitive, hormis un espace culturel uniformisé et banalisé et une cohésion sociale encore plus fracturée. Certains ont déjà exprimé leur réprobation, y compris du côté néerlandophone (et c’est heureux) mais il faudra plus pour mettre un terme à la stratégie de Pascal Smet et consorts.
A l’heure où la Région bruxelloise s’illustre péniblement par ses mauvais résultats de vaccination anti-covid et que la santé économique et sociale bruxelloise est plus que jamais préoccupante, cette volonté obsessionnelle de saper la langue française n’en est que plus incompréhensible et odieuse.