Bruxelles attend, Bruxelles perd du temps, Bruxelles perd des moyens, et chaque jour qui passe échoue à relever les défis attendus par les citoyens.
Déclaration de politique générale 2022 – Discours d’Alexia Bertrand, Cheffe de Groupe MR au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres et Secrétaires d’État,
Chers collègues,
Chers Bruxelloises et Bruxellois,
Monsieur le Ministre-Président,
Le temps
Le temps est une notion scientifique et philosophique complexe.
Pour certains, le temps est réel, quantifiable. Il induit la division de la durée. Il est un moment, un instant.
Pour d’autres, le temps est homogène et infini.
Chez Platon, le temps est l’image mobile de l’éternité immobile…
Pour Héraclite, le temps est fugace. Toute chose étant constamment en mutation, en perpétuelle transformation.
Monsieur le Président,
Chers Collègues,
Nous avons tous notre propre interprétation ou perception du temps. Il passe plus ou moins vite selon l’âge (dit-on).
Il nous semble plus ou moins, court ou long, selon l’ampleur des tâches que nous avons à accomplir. Il y a donc un rapport subjectif au temps, mais il y a aussi une notion objective indiscutable : c’est le temps mesurable, celui de l’horloge.
Aujourd’hui, ce sont presque deux années et ½ qui se sont écoulées depuis le vote des citoyens aux dernières élections régionales. En temps, cela représente 590 jours ouvrés. Soit environ un peu plus de 4.700 heures de travail mais aussi d’opportunités pour la Région bruxelloise.
Les opportunités manquées
La crise sanitaire du Covid a, certes, plongé notre pays et la Région, dans une autre temporalité.
Un moment difficile, hors du temps ordinaire.
De nombreux acteurs ont consacré une énergie sans précédent à la gestion d’une crise inédite. Au nom du Groupe MR, je voudrais, comme le Ministre-Président, les remercier.
Je pense particulièrement en cet instant au personnel soignant qui est confronté une nouvelle fois à une reprise de l’épidémie. Plus marquée en Région bruxelloise compte tenu du taux de vaccination encore trop faible.
Si cette crise est une parenthèse (que nous ne pouvons malheureusement pas encore fermer), elle est aussi créatrice d’opportunités de transformation et de changement :
- Une opportunité de revoir notre manière de travailler, grâce au télétravail qui offre une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée ;
- Une opportunité pour la Région de se renouveler à l’image des entreprises qui ont su se réinventer ;
- Une opportunité aussi en matière d’emploi, avec de nouveaux postes créés dans le secteur des services et du digital notamment ;
- Ou encore une opportunité d’accélérer les changements nécessaires dans la lutte contre le réchauffement climatique ;
Mais vouloir, Monsieur le Ministre-Président, ne veut pas dire agir. Transformer ne veut pas nécessairement dire réussir.
À y regarder de plus près, Monsieur le Ministre-Président, votre bilan à mi-législature compte davantage d’opportunités manquées que de réussites.
1/Tout d’abord, une opportunité manquée en matière de relance. Que ce soit de votre plan de relance bruxellois ou européen, très peu de moyens ont été consacrés à l’emploi et de la formation. En septembre, la prime à l’embauche Phoenix (d’une durée trop limitée que pour favoriser la création d’emplois durables) n’avait permis d’engager que 837 demandeurs d’emploi, pour un montant liquidé de seulement 3 millions d’euros, soit 10 fois moins que le budget initialement prévu.
Malgré les faibles sollicitations, vous avez recyclé en mars, ces 30 millions d’euros dans une nouvelle prime EcoSoc pour soutenir la création de nouveaux emplois dans l’économie sociale. Pas un mot dans votre discours sur cette nouvelle prime. Nous resterons attentifs à ses résultats.
Mais nous regrettons au regard du taux de chômage deux fois plus élevé à Bruxelles qu’en Wallonie et trois fois plus élevé qu’en Flandre, touchant presque ¼ des jeunes, que des mesures fortes n’aient pas été prises à cet égard. A peine 3,7 millions dégagés pour les métiers en pénurie. Nous peinons à croire, Monsieur le Ministre-Président que vous ayez fait de l’emploi votre priorité.
2/ En matière de rénovation et d’isolation du bâti, après 2 ans de travail, ce que vous appelé la stratégie « Renolution » ne précise toujours pas clairement comment tous les outils, pourtant identifiés par votre précédent gouvernement, doivent être utilisés. Les actions à mettre en œuvre ne sont pas priorisées et les scénarios d’investissements les plus efficaces en termes de réduction de CO2 ne sont pas définis ; rien n’est chiffré et les sources de financement ne sont pas identifiées. « Renolution » rime aujourd’hui avec « catalogue d’intentions », concertation, « hésitation » voire encore « résignation », mais malheureusement pas encore avec « action » ou « solution ».
Monsieur le Ministre-Président, alors que le défi énergétique et climatique est l’une de vos quatre priorités, votre ordonnance climat consacre seulement les objectifs à atteindre (une réduction d’au moins 90% en 2050 avec un taux de rénovation énergétique des bâtiments de 3 à 5%), sans véritable stratégie pour y parvenir.
Pour y arriver, il faudrait rénover en moyenne 50 immeubles par jour. Les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs fixés sont estimés selon vos calculs à 28,7 milliards d’euros d’ici à 2050 soit 956 millions d’euros par an. Or, vous en êtes nulle part, vous n’avez pas encore commencé : aucun arbitrage entre les mesures à privilégier, pas de feuille de route, ni scénario d’investissement, rien n’est priorisé ni chiffré. Il n’y a pas un début de texte d’avant-projet d’ordonnance.
Pourtant, l’augmentation sensible du prix de l’énergie réaffirme l’urgence de mettre en œuvre des mesures structurelles et financées. Les jeunes générations de marcheurs pour le climat attendent des solutions. Aujourd’hui et pas demain.
Notre groupe a déposé dès le mois de février une véritable stratégie de rénovation du bâti financée. Nous sommes huit mois plus tard, qu’attendez-vous pour en débattre ?
3/ Enfin (mais j’aurais pu citer d’autre exemples), cet été, pour la deuxième année consécutive, votre gouvernement a raté la relance du tourisme. A peine 5 millions supplémentaires ont été dégagés pour la relance du tourisme à Bruxelles qui représente pourtant une part substantielle du PIB. Fin août à peine 3% des pass touristiques avaient été utilisés, soit un manque à gagner pour le secteur de plus de 4 millions d’euros.
D’une valeur d’à peine 40 euros contre 80 euros en Wallonie, et non accessible aux Bruxellois, ce pass ne permettait même pas à une famille avec deux enfants de visiter l’Atomium. Nous avons plaidé en septembre pour un recalibrage des pass et un rattrapage à la Toussaint.
Budget
En matière de budget, les recettes ne couvrent plus depuis bien longtemps les dépenses qui ne cessent d’augmenter. Dès 2019, vous nous annonciez, sans gêne apparente, le doublement de la dette directe de la Région d’ici à 2024.
Le déficit aggravé par la crise du Covid et les moyens disponibles pour soutenir l’économie (avec des primes de soutien déjà considérablement moins élevées pour les entreprises bruxelloises que dans les deux autres Régions) auraient dû pousser votre Gouvernement à se remettre en question. À entamer un Budget Base Zéro (BBZ). À réformer vos politiques pour retenir la richesse créée à Bruxelles.
Chaque année, depuis 10 ans, environ 3.000 entreprises quittent Bruxelles pour s’installer ailleurs. La fuite de la classe moyenne n’a jamais été aussi importante.
En 2020, ce ne sont pas moins 41.000 Bruxellois ont quitté la Capitale pour s’installer ailleurs. Le solde démographique négatif entre les arrivées et les départs vient d’atteindre un triste record historique depuis la création de la Région en 1989. Dans le même temps, nous apprenons que la Flandre baisse ses droits d’enregistrement jusqu’à 1% pour un taux qui reste à 12,5% à Bruxelles.
Vous dépensez sans compter. Mais pour quels résultats ?
Les défis d’un temps (le chômage, la fracture socioéconomique dans certains quartiers, la pauvreté) se sont depuis lors systémisés.
- Le taux de chômage des personnes en âge de travailler (15 – 64 ans) reste trois fois plus élevé à Bruxelles qu’en Flandre et deux fois plus élevé qu’en Wallonie. Malgré de légères fluctuations, il atteint grosso modo le même niveau qu’il y a 15 ans.
- Sur la même période, la Flandre est parvenue à diminuer son taux de chômage de 40% et la Wallonie de 35%. Et donc à engranger des résultats.
- Le taux d’activité des jeunes (15-24 ans) à Bruxelles est même en recul avec une baisse de 10% en 15 ans et se trouve 10% en dessous de la moyenne belge.
Ce talon d’Achille occasionne un mal bien plus grand. Celui de la pauvreté et de la grande précarité.
- Entre 2005 et 2018, soit avant la crise du Covid, les bénéficiaires d’un revenu d’intégration social (RIS) avaient déjà doublé.
- Une situation préoccupante qui se reflète également au travers de l’explosion des personnes sans-abris.
- Les enfants ne sont malheureusement pas épargnés par la pauvreté. 40% des enfants bruxellois (soit presque un enfant sur deux) vivent dans une famille dont les revenus se situent sous le seuil du risque de pauvreté. Ces enfants précarisés sont deux fois plus nombreux à Bruxelles qu’en Wallonie et quatre fois plus nombreux qu’en Flandre…
Si nous pouvons saluer la volonté de poursuivre comme objectif un bien nécessaire retour à l’équilibre en 2024 (hors investissements, toutefois), il faut toutefois bien admettre, Mesdames, Messieurs les membres du Gouvernement, que sans réformes structurelles, cet objectif relève de l’utopie.
Mobilité – Logement
En matière de mobilité, votre gouvernement a investi massivement dans de la promotion du vélo. Plan de relance bruxellois (510 millions en mobilité), européen, fonds Beliris, subsides, en tout ce sont des dizaines de millions d’euros qui ont été investis en forçant une politique unique de développement du vélo. C’est louable mais votre gouvernement échoue à mettre en place une politique de mobilité équilibrée et répondant aux besoins réels de la population.
Pour attirer les entreprises, les ménages, les touristes, les organisations internationales, pour éviter l’exode des entreprises comme celui de la classe moyenne notre Région doit proposer un véritable écosystème de mobilité, multimodal, abordable, efficace, sûr et intelligent.
Cessons les oppositions stériles attisées par votre Gouvernement entre les modes de déplacement et permettons une cohabitation où tous les besoins sont rencontrés. Le plan Good Move exige une réduction du nombre de déplacements à Bruxelles. Monsieur le Ministre-Président nous n’adhérons pas à cet objectif. Il ne faut pas bouger moins mais bouger mieux. Les Bruxellois se déplacent pour travailler, pour visiter leur famille, pour profiter de leur ville.
Vous annoncez dans votre discours « aborder le changement de manière participative » mais vous faites en pratique tout le contraire. Votre méthode est à sens unique : manque de concertation, culpabilisation, exclusion de ceux qui n’entrent pas dans votre référentiel.
J’aimerais d’ailleurs conclure en m’attardant ici sur 3 exemples concrets qui illustrent cette méthode cavalière, ont coûté du temps et de l’argent, sans améliorer la mobilité bruxelloise.
1/ Votre projet de taxe kilométrique « Smartmove » : non-concerté, pénalisant pour les familles, qui a justifié un rapport accablant de l’Autorité de Protection des Données. Vous étiez si peu sûrs de vous que vous aviez carrément budgété des recettes pour 2022… dont acte, marche arrière sur l’autoroute et économies à réaliser ailleurs… dans l’attente on investira les 60 millions du plan de relance dans des caméras ANPR dont la Région n’a pas aujourd’hui besoin. Était-ce là une bonne utilisation des deniers publics ?
2/ La sortie des moteurs thermiques. On constate à cet égard un parti pris, certes, en faveur d’une mobilité plus durable mais au mépris du principe de neutralité technologique. Pourquoi ignorer d’autres solutions comme le diesel synthétique pouvant être produit en captant le CO2 ambiant, comme l’hydrogène, comme le GNC alors même que la Flandre et la Wallonie continuent d’investir ? Que feront ces navetteurs aux voitures propres quand ils ne pourront plus circuler sur le territoire régional ? Si vous considérez que Bruxelles est une île, il est grand temps que vous commenciez à construire des voies pour les barques.
3/ Enfin, la réforme du secteur des taxis et du transport de personnes, qui malgré vos promesses d’une réforme avant l’été est loin d’être finalisée. Vous devez encore concerter sur un projet en gestation depuis plus de 5 ans. Si cette concertation est importante, nous ne pouvons que dénoncer votre démarche hostile au travail et aux 2.000 familles dont les revenus dépendent de cette activité. Cette gestion n’est pas digne d’un bon père de famille et cette méthode de travail est plus que critiquable au regard des enjeux sociaux, dont vous vous faites le défenseur. Sans vous attendre, Monsieur le Ministre, nous avons déposé, un projet de réforme ambitieuse, équilibrée, respectueuse du travail de chacun et permettant le déploiement d’un service optimal à la hauteur des besoins.
Logement
Vous avancez également en logement mais pas dans le sens que nous espérions. Vos réformes sont davantage teintées d’idéologie plus qu’elles ne le sont de pragmatisme.
Vous continuez à renforcer les politiques d’acquisition foncière, comme le droit de préemption ou le financement de projets clé sur porte, malgré leur coût extrêmement élevé pour la collectivité et surtout les réponses bien trop lentes que ces mesures apportent à la crise du logement.
Pourtant efficace, la politique des AIS a été mise sur pause.
Seule nouvelle réjouissante : la tant attendue allocation-loyer entrera, enfin, en vigueur au 1er janvier 2022. Notre groupe et mon collègue Vincent De Wolf, avions déposé dès 2011 une proposition d’ordonnance visant à généraliser l’octroi d’une allocation loyer dans la Capitale. Il s’agit donc d’une avancée positive bien qu’encore insuffisante, puisque le dispositif touchera environ 12.000 ménages bruxellois, soit à peine un quart des ménages sur liste d’attente pour un logement social.
Conclusion
En conclusion, Monsieur le Ministre-Président,
En politique, comme dans beaucoup d’autres domaines, il y a le temps du diagnostic. Le temps de la réflexion. Le temps des idées. Le temps des essais. Le temps des échecs. Le temps du changement. Le temps de la transition. Et surtout : le temps de l’action.
Et c’est bien là que réside tout l’enjeu du temps. Les 4.700 heures de la législature qui se sont écoulés avec une seule nécessité à nos yeux : réformer, engranger des résultats.
Or c’est bien là que le bât blesse. Les législatures défilent et les majorités de gauche se succèdent sans se renouveler. Une forte impression de « déjà-vu ».
À constat constant, aux problèmes persistants, vous continuez d’appliquer les mêmes recettes sans remise en question et surtout sans quête de résultats.
La crise sanitaire aussi extraordinaire soit elle, n’a pas eu pour effet de gommer les urgences préexistantes à la crise :
L’urgence du climat, l’urgence de la propreté, l’urgence de la sécurité, l’urgence de l’emploi, l’urgence du logement ou encore l’urgence de la lutte contre la pauvreté.
Depuis plus d’une décennie, les signaux d’alarme clignotent, sans susciter de grandes réactions de votre ou de grands changements. Beaucoup de plans, peu d’actions.
Nous regrettons que le temps des réformes n’ait pas encore vu le jour, celui :
- Du budget base zéro (BBZ), en vue d’enfin créer de nouvelles recettes et de revoir les dépenses ;
- De la rationalisation des subsides. Chaque année (hors subsides publics), ce ne sont pas moins de 200 millions d’euros qui sont distribués ;
- De la rationalisation des structures que vous avez multipliées (à contresens de l’histoire) et pas simplifiées ;
- Le temps d’une réforme de la formation, des aides à l’emploi comme la Wallonie s’y est attelée ;
- Je pense aussi à la propreté. Vous avez déclaré l’année passée, Monsieur le Ministre-Président « Bruxelles est sale ». Vous annonciez un plan stratégique. Malgré cet aveu, rien n’a été entrepris pour remédier à ce constat. Aucune mesure. Aucune amélioration.
- Nous espérions également une autre approche du logement que le « tout au public » qui démontre ses échecs d’année en année, une vision pour amener et ramener la classe moyenne et les entreprises à Bruxelles.
Vous l’aurez compris, après deux ans et demi, Bruxelles attend, épuisée, encore et toujours. Mais n’est pas pour autant résignée.
À l’image du sablier retourné, la patience des Bruxellois, Bruxelloises, s’amenuise. Sécurité, propreté, formation, emploi, climat, constituent des attentes légitimes en quête de réponse.
Comme Théophraste l’avait si bien compris : « La plus couteuse des dépenses, c’est la perte de temps ».
Bruxelles attend, Bruxelles perd du temps, Bruxelles perd des moyens, et chaque jour qui passe échoue à relever les défis attendus par les citoyens.
Le temps passe et rien ne se passe.
Il vous reste deux ans et demi pour relever la barre. Je vous offre donc cette montre, qui j’espère, vous rappellera, au quotidien, que le temps passe, qu’il passe vite, et qu’il faut se presser.