Interview dans l’Echo.

Après une semaine de consultations sur la situation budgétaire, le candidat ministre-président David Leisterh (MR) en appelle au sens des responsabilités de tous les partenaires potentiels.

Qu’est-ce que David Leisterh va bien pouvoir faire de la belle victoire du MR dans la capitale? La question s’impose, alors que le candidat ministre-président semble encore patauger dans un marais politico-budgétaire particulièrement mauvais. Deux semaines après le scrutin, il n’a pas encore pu rassembler ses partenaires naturels que sont PS et Engagés pour ébaucher une majorité, se heurte à un déficit structurel frôlant les 2 milliards (en comptant les investissements) sur un budget de 7, nous dira-t-il, tandis que côté néerlandophone, l’éclatement électoral pousse la Région-Capitale dans ses limites institutionnelles. Vous avez dit bourbier?

Statique, il éclate de rire lorsqu’on lui demande s’il est toujours aussi heureux après cette semaine de consultations budgétaires. « Je reconnais que la joie de la victoire a été de courte durée. Très vite, le sens des responsabilités m’est tombé dessus. Finir premier signifie qu’il faut dépatouiller quelque chose qui n’est pas simple àBruxelles. Mais à titre personnel, quand je repense à ce qu’on a vécu le 9 juin, soit l’aboutissement de plusieurs années de travail avec un résultat historique, je me dis que j’ai peut-être vécu l’un des plus beaux moments de ma vie. »

À quel point la situation est-elle préoccupante?C’est encore plus compliqué que ce que j’imaginais. En rencontrant les différents acteurs, on comprend qu’en termes de déficit, la situation est très complexe, avec un dépassement d’un milliard et demi sur un budget de sept. Imaginez que vous gagnez 7.000 euros par mois, mais que chaque fois, il vous en manque 1.500. À la fin de l’année, à force d’avoir emprunté, il finit par vous manquer 2.500, parce qu’il y a des intérêts à rembourser.

Comment en est-on arrivé là?On a manqué de sérieux budgétaire. Il était jusqu’à présent trop facile pour les administrations et les politiques de dépenser de l’argent qu’on n’avait pas. L’étape qui suit sera d’identifier exactement dans quels départements il y a eu des gros dérapages. On va aussi examiner les Plans pluriannuels d’investissements adoptés récemment pour savoir quels sont les projets inéluctables, dont l’arrêt coûterait plus cher, et quels sont ceux qui peuvent encore être revus.

Validez-vous la méthode du ministre sortant du Budget, Sven Gatz (Open Vld), avec des coupes linéaires?En affaires courantes, c’est la bonne méthode pour envoyer un signal, car aucun gouvernement ne peut réellement rentrer dans les dossiers. Je sais que plusieurs administrations font l’exercice. Mais je suis partisan que l’on prenne le temps de faire un travail ligne par ligne. Il faut que l’on retombe à un déficit de maximum 250 millions d’euros si l’on veut que la note de Bruxelles ne soit pas encore dégradée par les agences.

En une législature?Ça, c’est l’Europe qui va nous l’imposer. Est-ce que ce sera quatre ou sept ans? Je suis pour qu’on aille le plus vite possible, soit quatre ans, mais d’autres entités peuvent demander sept. Cela devra se négocier avec les partenaires de gouvernement. L’élément qui m’inquiète le plus, c’est la charge de la dette: qu’elle prenne une ampleur telle que tout redressement économique sur Bruxelles servirait à financer des intérêts. C’est pour ça que je ne veux pas traîner. J’ai envie de ramener de l’orthodoxie budgétaire.

Quid des structures?Il faut en effet stopper la dispersion des moyens et rationaliser. Pratiquement tout le monde est d’accord avec cette philosophie, mais il faut le courage de l’implémenter. Et les retours économiques ne seront pas immédiats, il faut en être conscients. Il faut aussi un redressement économique et recréer un peu de capacité fiscale. Imaginez que l’on parvienne à réduire les délais de délivrance de permis à six mois. C’est le marché immobilier et le tissu économique qui pourraient reprendre rapidement.

Pas de nouveaux impôts régionaux en vue?Non, c’est hors de question pour nous. Mais la perception des impôts suite aux réformes de l’État et les transferts de compétences du Fédéral se fait-elle de manière optimale? Il y aurait des déperditions de recettes, il faut analyser tout cela dans le détail.

Deux semaines après le scrutin, vous n’avez toujours pas rencontré Ahmed Laaouej, patron du PS bruxellois.Nous n’avons que des contacts informels pour le moment. La situation que l’électeur nous a laissée à Bruxellesest claire: le MR a gagné les élections. Mais le paysage politique n’est pas simple pour former un gouvernement. Si je veux que cela aboutisse, je dois être dans la retenue médiatique.

Ne faut-il pas une note de départ pour structurer les négociations?C’est l’une des étapes, absolument. Mais les échanges politiques informels ne sont pas encore aboutis. J’ai voulu rencontrer les acteurs de terrain pour bien comprendre la situation, même si c’est disruptif par rapport à ce quise faisait dans le passé avec tout le monde autour de la table plus rapidement.

Les déclarations incendiaires de votre président à l’égard de vos partenaires ont-elles freiné le processus?L’avantage c’est qu’il a pu remettre nos marqueurs de manière très claire sur deux volets importants pour nous (le communautarisme et Good Move, NDLR). Je pense que notre binôme est plutôt efficace.

M. Bouchez a déclaré qu’il mènerait les négociations dans toutes les entités. Cela vous bloque?Non, il est très disponible et très utile. Il a raison sur un point: Bruxelles a trop longtemps été géréeuniquement par celles et ceux qui y vivent. L’absence d’influence des partis nationaux est dangereuse, surtout vu les enjeux qui sont parfois les mêmes en Wallonie, en Flandre, au niveau fédéral. Donc l’apport du parti est très utile pour moi.

DéFI et Ecolo sont-ils définitivement hors-jeu?Je pense que personne n’est jamais hors-jeu. Quand j’échange avec les autres partenaires politiques, je constate que tous ont compris que la situation nécessite un vrai sens des responsabilités. Après, il y a des réalités politiques en interne qui font que ce n’est pas toujours aussi simple.

Pensez-vous le PS capable de s’allier avec les libéraux avant le scrutin local?C’est la question… Joker!

Les communales ne facilitent pas l’accélération. Mais je crois dans la force électorale des responsabilités. On peut prendre, dès les premiers jours, des mesures qui redonnent une image positive de Bruxelles et cela peut être positif électoralement si c’est ça le calcul fait par certains. Je ne pense pas qu’attendre après les communales soit la meilleure décision.

Prendrez-vous le portefeuille de la mobilité?Je ne vais pas faire d’exclusive là-dessus maintenant. Ce qui me rassurerait c’est d’avoir une ligne très claire en la matière dans l’accord de gouvernement. En tant que ministre-président, on peut ensuite surveiller que tout se passe bien.

Le débat sur Good Move est très binaire. Y a-t-il une voie du milieu?Ce qui est dangereux avec un plan de mobilité, c’est justement de le labelliser. Maintenant, si vous avez des travaux à Nivelles et des embouteillages à Anvers, c’est aussi à cause de Good Move. Pour nous, Good Move c’est fini. Cela a créé plus de tensions qu’autre chose et c’est comme ça que l’on interprète nos plus de 100.000 voix. Mais ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas un plan de mobilité. Regardez en Flandre, ils en développent un peu partout et le deal avec les habitants est clair: on rénove votre quartier pour en faire un lieu agréable à vivre. Et au passage, on regarde comment améliorer la mobilité pour que ce soit plus fluide, avec de la place pour les piétons, les cyclistes et les voitures à certains endroits.

La poursuite de l’extension du métro vous semble-t-elle toujours aussi crédible?Oui. Il y a quatre chantiers sur lesquels il faudra se pencher de manière méthodique: le métro, la rénovation des tunnels, avec selon moi certains travaux qui doivent être avancés, les égouts et enfin, le bâti bruxellois quiest un de ceux qui polluent le plus. Il faut un système de financement qui permette de le rénover plus rapidement, pourquoi pas en s’inspirant des Pays-Bas où ils opèrent quartier par quartier. On ne peut pas arrêter tous les investissements à Bruxelles, mais on va devoir réduire une série de dépenses pour financer la solidarité et nos ambitions.

Et suspendre le projet en attendant que les finances régionales s’améliorent?Ce serait la facilité. Il va falloir se montrer créatif.

On risque une législature de papier sur le métro, vu l’avancement des procédures.C’est un risque. Je suis de nature pressée et c’est donc quelque chose qui m’ennuie. On doit travailler sur la longueur des procédures, qui coûtent cher, ce qui est incompréhensible pour les citoyens. On ne va pas yremédier du jour au lendemain, surtout pour des grands projets comme celui-là, mais ce n’est pas normal que cela prenne autant de temps. Le projet du métro est en situation de crise, on devrait pouvoir avoir des procédures de crise.

Si le blocage politique s’avère insurmontable, êtes-vous prêt à lâcher la ministre-présidence?Ce serait trahir les électeurs. On fait plus de 100.000 voix, 26%, on passe de 13 à 20 sièges, je pense que tout le monde va respecter cela.

On constate un blocage côté néerlandophone, votre président a dénoncé un dévoiement de la représentation de la minorité linguistique. Faut-il changer le système?On a en effet une opportunité, même les partis flamands le constatent. On doit revoir ce système d’une manière ou d’une autre. Fouad Ahidar a fait campagne majoritairement en français et se retrouve avec trois sièges côté néerlandophone. On a des francophones qui votent pour des partis flamands pour éviter la montée des extrêmes. Tout s’emmêle, ce n’est pas cela que le législateur avait en tête à la base. Tout le monde a pris conscience que le système a atteint ses limites mais je n’ai pas la formule exacte, cela dépend d’un grand accord au niveau fédéral.

Vous avez un véto concernant la Team Ahidar?Je n’ai pas analysé son programme en détail, mais vu le style de campagne que la Team Ahidar a pu mener, etavec les propos qu’on a pu entendre, si on le laisse prendre part à un exécutif, on va droit vers de gros problèmes.J’ai vu de mes propres yeux une campagne uniquement communautariste. À Bruxelles, si on ne comprend pas qu’on doit en sortir de ce communautarisme, c’est foutu.

Mme Van den Brandt vous a-t-elle rassuré à cet égard?Pas encore. Mais elle fait un travail que je salue. Ce n’est pas facile pour elle.

Ce n’est pas exclu qu’elle tente quelque chose avec la Team Ahidar ?Elle l’a rencontré. Mais d’autres partis flamands ont également exprimé des vétos vis-à-vis de la Team Ahidar.

Cette configuration mène à une coalition de quatre partis néerlandophones contre trois aujourd’hui. Etes-vous prêt à agrandir le gouvernement pour offrir à chacun un poste?Je sors d’une semaine d’étude de la situation financière catastrophique de la Région, ne m’expliquez pas que je vais ajouter un cabinet politique. On va devoir faire aussi des économies au niveau du personnel politique, dans les cabinets et autres.

Le cabinet de la ministre-présidence actuelle compte une centaine de collaborateurs, combien vous en faudra-t-il?Beaucoup moins. Laissez-moi un peu de temps, mais il faut diminuer drastiquement la taille des cabinets. Si je comprends bien, celui du ministre-président était plus important que celui du Premier ministre.

Il y aura moins de personnel régional à la fin de la législature?Il faudra s’inscrire dans une politique de rationalisation, par exemple via des non remplacements. Le but n’est pas de licencier, mais le gonflement doit s’arrêter.

La situation budgétaire signe-t-elle la fin des primes à la rénovation?Je pense en effet que ce n’est pas la bonne politique. Les caisses de la Région ne sont pas infinies et ensuite, outre le fait qu’on ne reçoit la prime qu’après l’investissement au prix d’une charge administrative assez lourde, on risque un effet pervers: l’argent reçu pour l’isolation est utilisé pour une dépense qui crée une nouvelle consommation. Exemple: partir en Martinique. Il faut davantage travailler avec les prêts, à taux zéro par exemple, cela responsabilise la personne. Il y a aussi le tiers investisseur.

Les primes vont donc disparaître?Je vais le déposer sur la table mais je tiens à travailler de manière collective. Je ne dis pas non plus qu’il faut complètement supprimer le système pour les plus précarisés. On doit opérer un fine tuning sur l’aide à la rénovation. Avec un gain budgétaire.

Sur les subsides aux associations, ça va saigner?Il faudra un travail d’évaluation et de vérification, association par association. Ça n’a pas toujours été le cas.

Comment allez-vous retenir les classes moyennes, alors que Flandre et Wallonie semblent être mieux positionnées pour réduire leurs impôts?La concurrence risque en effet d’être très rude sur deux points: les droits d’enregistrement, qui sont plus bas en Flandre et risquent de diminuer en Wallonie, et l’accès au crédit, pour lequel la Flandre devrait faciliter l’obtention des 20% de différence entre ce qui est financé via les banques et le prix du bien. On doit pouvoir réagir rapidement. Cela dit, Bruxelles garde sa plus-value de capitale mais on doit devenir plus exemplaires aux plans de la mobilité, de la propreté et de la sécurité.

Donc il va y a voir des réductions d’impôts?La situation budgétaire ne nous laisse pas des marges énormes, mais je suis sûr qu’on va y arriver. Sans mesures fiscales ambitieuses en matière de droits d’enregistrement, de précompte et d’accès au crédit, on loupe quelque chose. Il faut le voir comme un investissement pour le futur.